la lignée
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Il y a ce sentiment récurrent, à mon arrivée à Saint-Girons en 2018, aux pieds des Pyrénées, celui d’être sur une île. Avec la pandémie, ce sentiment s’est accentué, et j’ai dû apprendre à vivre la vie d’une petite ville rurale à mes dépens. Une fois les restrictions sanitaires levées, le sentiment ne m’a plus quitté.
Pendant le premier confinement, j’ai marché dans le rayon d’un kilomètre autorisé par le gouvernement. Au début, je cherchais surtout à découvrir la ville où j’avais décidé d’habiter en tenant un journal visuel. Mes sorties se sont alors lentement transformées en une sorte d’arpentage photographique. Quand il a de nouveau été possible de sortir aussi loin qu’on le pouvait, je me suis aperçu qu’au delà du rayon d’un kilomètre, la ville s’arrêtait, parfois de façon abrupte. J’ai continué à photographier malgré cela, en privilégiant le noir et blanc et une certaine sobriété de ton, travaillant autour de l’idée que circonscrire ce que je voyais dans le cadre m’aiderait à donner du sens à ma présence. J’ai donc suivi les mêmes itinéraires pendant des mois, croisant ceux d’autres habitants. Tous le monde faisait la même chose.
À travers la répétition, des motifs ont toujours tendance à émerger. Tout doucement d’abord, et grâce aux histoires racontées par les personnes que je rencontrais et photographiais, le paysage s’est mis à parler. En prêtant suffisamment attention, il devenait possible de déchiffrer les traces laissées par l’activité humaine. Et progressivement, je commençais à comprendre la présence de ces palmiers par exemple, disséminés par ces personnes revenues dans le région natale après de longues années d’émigration, ou le rôle important qu’ont jouées les rivières pour l’industrie locale du papier, aujourd’hui en déclin. Je pouvais imaginer la façon dont chacun partage une connection avec son voisin, comment chaque histoire était différente et similaire à la fois, presque à la manière d’une filiation. Même mes photographies ont commencé à évoquer une certaine lignée dans laquelle je m’inscrivait, me rappelant la documentation du sud-est des États-Unis à partir des années 30.
Cinq années plus tard, c’est une trame d’un fin maillage irrégulier qui se dessine à travers ces photographies, une trame faite de lignes qui se suivent et se rencontrent parfois, un canevas composé par toutes les histoires entendues, y compris celle de tout un pays.